Petit traité de survie en milieu hostile
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Je sais, j’ai déjà tué un mythe en vous racontant minute par minute mes déboires pour préparer l’anniversaire glace des 6 ans de Virgile. Dans un élan d’inconscience, j’ai promis à certaines de raconter la suite. Le moment paroxystique, celui qui fait exploser tes tympans et déclenche des sueurs froides chez tout parent : la fête d’anniversaire.
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Vous l’aurez cherché. Welcome to hell, voici le minute par minute de la fête d’anniversaire glace :
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Chapitre 1 – quand sonne l’heure des braves
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12:41 Et voilà le travail ! Déco, chasse au trésor, buffet : tout est en place jusqu’à la dernière langue de belle-mère. Touche finale de mon organisation suprême, j’ai planqué bougies et allumettes sous un tas de fraises tagada. Purée, j’assure GRAVE.
12 :42 Appel de l’homme : – «mission enclenchée, je répète, mission enclenchée.»
12:42:30 L’envoyer chercher le convoi de gamins, voilà l’idée de génie. Mes troupes arrivent groupées, on attaque direct. Et tac, on en finit avant l’arrivée de la pluie. Du poste de commandement des opérations, je respire un grand coup. Mon lit est grand, moelleux – mais qu’est-ce que j’y suis bien !
12:43 Inspirer, expirer, ne penser qu’à l’instant présent.
12:43:10 J’ai peut-être encore le temps de choper un vol pour Reykjavik ? Perruque sur la tête, je marcherai à la lueur des aurores boréales vers les hautes-terres. Il parait que des bandits vikings ont survécu des années planqués entre glaciers et volcans à bouffer de la mousse. Faut juste que je pense à prendre une boîte d’allumettes pour faire fondre la neige.
12:44 Dernier coup d’œil à mon ancienne vie. Désormais ce ne sera plus qu’un souvenir. Au moment de choper les allumettes cachées sous les bonbons, je craque.
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Chapitre 2 – Dans les décombres de ma vie
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12:45 Avant même de l’entendre, je ressens cette vibration. Comme si la terre restituait l’énergie de la tornade. Puis c’est le chaos.
12:45:02 Un énorme BANG parvient à mes oreilles meurtries.
12:45:05 Irma a fait irruption dans ma maison. Je me relève, erre dans les décombres. Ouvre tremblante la porte de la chambre de Virgile. L’œil du cyclone est là. Non, en fait, Irma a 4 paires d’yeux, qui me regardent fixement.
12:45:06 Purée, il manque une recrue. Si G. n’arrive pas dans les 5 secondes, je déclenche le plan ORSEC.
12:45:07 Playmobils, peluches, legos, circuit de train volent à travers la pièce. Je rampe en me protégeant le visage et hurle : « Mayday, mayday ».
12:46 Vite, trouver une idée. G. n’était pas dans le premier convoi. Confirmation par téléphone, il n’a pas encore pris la route vers le terrain d’opération. Si on commence la chasse au trésor d’ici 11min 37 secondes, on peut encore terminer avant le déluge de flotte annoncé. Que faire des troupes en attendant ?
a ) voler une seringue hypodermique chez un vétérinaire. Savez-vous doser précisément pour réveiller les fauves dans 11min36 secondes ?
b ) envoyer les troupes s’entraîner sur le trampoline. Calcul fait, déplacer le champ de bataille sur sol instable augmente de 372% le risque de traumatisme crânien avant même que le combat ne commence. D’abord vérifier le taux de perte admissible.
c ) proposer de leur faire la lecture dans une ambiance calme et apaisée.
12:46:30 Ouf, Claude Ponti est là.
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Chapitre 3 – Le poids des mots
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12:46:32 Le château d’Anne Hiversère est balayé d’un revers par une horde enragée. Se recevoir une tranche de Claude Ponti à 32 km/h sur le nez, ça fait mal. Répéter en boucle : « la douleur n’est qu’une sensation, c’est juste une information de mon corps pour signaler un problème. »
12 :47 J’ai un problème.
12:48 Je ne sais pourquoi, le concept me mettait mal à l’aise. Vaincue, j’ai laissé Philéas prendre les commandes tandis que je me massais le nez.
12:48:30 Force est de constater que les enfants alignent calmement les playmobils dans les arènes. L’un après l’autre, ils les posent délicatement de leurs petites mains potelées. C’est émouvant, cette innocence de l’enfance.
12:49 La première toupie projette une dizaine de playmobils au sol. Juste le temps de recharger les munitions, deux autres fauchent déjà de nouvelles victimes. Je suis mal à l’aise. Les troupes, elles, s’éclatent.
12:58 On sonne. Délivrance. Allez les enfants, c’est parti pour la chasse au trésor !
12:59 Derrière la porte, ce n’est pas G. Le facteur semble pressé de me filer mon recommandé pour se barrer, loin. Et vite si possible.
12:59 Eclair de génie. L’art de l’impro, tu vois, c’est d’utiliser chaque élément perturbateur à son avantage. Je regarde ma troupe et d’une voix grave leur dit : – « cette lettre me semble de mauvais présage ». Le facteur démarre en trombe.
13:10 Les playmobils respirent, G. est là. Pas de temps pour les amabilités, il est entraîné par son bataillon. Découvrons le contenu de cette lettre.
13:12 J’avais vu juste : le vilain Fondor, le plus horrible de tous les super-méchants, a juré de faire disparaître les glaces de la surface de la terre. Qu’il écrive une lettre recommandée pour nous l’annoncer n’étonne pas mes troupes.
13:13 M. n’aime pas les glaces, il préfère les rillettes. Mais par solidarité avec sa troupe, il est prêt à partir au front pour sauver leur goûter.
13:14 C’est beau l’amitié.
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Chapitre 4 – Heroes & Villains
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13:15 Pour combattre un Super-Vilain, il nous faut des Super-Héros. Hop, que chacun enfile son costume. Hier, en fouillant dans ma malle à déguisements, j’ai trouvé du lourd, comme ces costumes de Super-Calculator ou Super-Nova. Mais quelle sera la réaction de Super-Lapinou en découvrant sa tenue de combat ?
13:15 Super-Lapinou est ravie. Faire des super-bonds, voilà du super-pouvoir qui te pose un super-héros. A la réunion syndicale annuelle, ils doivent être rudement impressionnés.
13:18 Notre première mission est de sauver un camion de glaces coincé dans les embouteillages.
13:25 J’ai peut-être présumé des capacités de mes troupes en choisissant le niveau « concentration maximale pour super expert » de mon casse-tête. Coup de coude à Philéas qui crie –« là-bas, on dirait Fondor ». Tous se ruent toupie en main pour en découdre. J’avance discrètement le camion vers la sortie. Mais ce n’était que la camionnette du facteur qui fonce en direction de Reykjavik. Ou de l’arbre sur le bas-côté.
13:28 Fondor nous pose une colle. Il a congelé la clé de la boîte qui renferme le prochain indice.
13:29 Mais où peut-on trouver un glaçon ? B. s’écrie : « dans l’apéro ». Tiens j’en prendrais bien un. Après tout ce doit être l’heure à Reykjavik, non ?
13:37 Fourchette en main, nos Super-Héros brisent la glace.
13:42 Clé dégagée, membres indemnes. Je souffle : « -Cette clé permet d’ouvrir une boîte. Dans laquelle Fondor a mis une lettre. »
13:48 Démotivation des troupes face à la difficulté de cette énigme. J’ar-ti-cu-le clai-re-ment encore une fois les mots CLES de cette BOITE où il y a une LETTRE.
13:49 J’entends le bruit d’engrenages des cerveaux surmenés. D’un coup, une ampoule s’allume dans le cerveau de V.
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Chapitre 5 – à la bonne heure
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13:50 Sont forts ces météorologues. C’est pile l’heure à laquelle le risque de pluie est de 100%.
13:50:40 Si jamais je chope celui qui a installé la boîte tout en haut de la colline, j’ai deux mots à lui dire
13:50:50 Bruit d’engrenage de mes neurones. A la réflexion, je crois que c’est la même personne qui a conçu cette chasse au trésor.
13:56 Puisqu’on est trempés, autant continuer la chasse au trésor. Fondor exige qu’on teste les super-pouvoirs de Super-Lapinou sur le trampoline.
14:11 Je savais bien que le lapin duracell faisait l’apologie de la drogue. Mais pourquoi avoir donné son stock à Super-Lapinou avant de s’effronder ?
14:16 Philéas suit les instructions de Fondor et compte consciencieusement le nombre de sauts. Me demande s’il y a moyen de le corrompre. Je sens les flaques d’eau au fond de mes baskets.
14:17 360. C’est au moins le nombre de sauts de Super-Lapinou, non ? Chouink, chouink, je cavale derrière la troupe repartie sur les traces de Fondor au fin fond de la garrigue. Mes semelles éponges me font une démarche d’hippopotame, si le bruit n’était déjà pas assez élégant.
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Chapitre 6 – savoir faire des sacrifices
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14:23 Repli stratégique face à la pluie battante.
14:23:30 On est couverts de feuilles, nos baskets sont imbibées – mon parquet, lui, est en chêne massif aspect huilé. Plus pour très longtemps donc.
14:23:50 Réquisition de l’homme. Sa mission ? Circonscrire la zone contaminée en sacrifiant une serviette. Je lui promets une stèle et le paradis éternel des serviettes tombées au champ d’honneur.
14:25 Abandonne Philéas et l’homme à leur destin. Fermer la porte, tourner la clé, inspirer, expirer, ne penser à rien. Contrôle visuel rapide dans le miroir au-dessus du lavabo. Yeux de pandas, mais y’a pas que le mascara qui dégouline – je transpire comme si je revenais d’un iron man.
14:54 Les murs tremblent sous l’acclamation des héros du jour. Fondor est laminé, son trésor capturé, les glaces sauvées.
14:59 Tels des soldats américains libérant Paris, nos super-héros font péter les malabars en mâchant bruyamment.
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Chapitre 7 – La totale
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15:17 Cuillère en main, j’aligne mes troupes pour le ravitaillement au bar à glaces.
15:19 Passons aux choses sérieuses. L’heure est grave : vanille, fraise, caramel, crème caramel ou chocolat, chantilly et 10 sortes de toppings, faut se décider. B. veut tout. Ben quoi, il s’est pas battu contre Fondor pour rien, non ?
15:24 OK, la totale pour tout le monde.
15:26 Sauf M. qui aimerait un sandwich aux rillettes s’il te plait. Ben voyons, j’ai toujours un pot de rillettes en rab’ – laisse-moi checker ça. Je négocie pour lui filer un peu de raclette d’anniversaire. Non, j’ai pas non plus de cornichons. Un peu de sauce caramel par-dessus ?
16:01 Accalmie dehors. Hop, je dégaine le photobooth ice cream truck.
16:12 Entassés dedans, les enfants crient TUT, TUUUUT à plein poumons. Si les voisins appellent les flics pour tapage, bingo, y’a sûrement moyen d’inclure ça dans mon scénario. L’impro, l’illumination, tout ça. Bien que personnellement j’éviterais quand même de prendre le risque de laisser les enfants approcher de la sirène de la voiture de police.
16:25 Ça fait longtemps que je n’ai pas contrôlé mon audition.
16:25:10 C’est peut-être plus la peine en fait.
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Chapitre 8 – Un minuscule détail
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16:29 L’éternité, c’est long. Surtout à la fin.
16:30 Pour essayer d’éviter la pluie, j’ai avancé l’heure d’arrivée à la fête d’une heure. Mais je réalise que j’ai oublié de préciser que, par conséquent, l’heure de fin avançait d’autant. C’est là que je comprends que les parents aiment la précision. N’empêche, même l’heure annoncée au départ est dépassée.
16:34 Mais si je me place d’un point de vue extérieur, je peux comprendre qu’aucun être humain censé ne veuille s’approcher du lieu de la catastrophe.
16:38 Vite une idée pour sauver ce qui reste de nos tympans ! Hop, Philéas branche ordi et projecteur ensemble, d’un coup d’outil plume fabrique un masque d’écrêtage et crée une séquence vidéo en boucle pour faire un petit vidéo mapping à l’improviste.
16:40 Le camion de glaces roule sur l’autoroute. Chacun son tour, les enfants conduisent avec le plus grand sérieux.
16:42 Un premier parent sonne. Sûrement tapit derrière la porte sonomètre en main, attendant qu’on repasse sous le niveau légal avant de risquer sa vie.
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Chapitre 9 – quand on oublie toute prudence
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16:43 – « Oh mais votre buffet est vraiment super ! »
16:45 Je me suis faite avoir comme une bleue. 15 années d’organisation de fêtes d’anniversaires et j’en suis toujours-là. C’est pathétique. Je flotte au-dessus de corps et m’entends dire : « Voulez-vous en goûter une ? »
16:59 Les parents aussi veulent la complète.
17:13 Je vois passer un cheval ressemblant étrangement à Philéas chargé de 5 enfants sur le dos. Toutes ces glaces, ça me fait délirer.
18:26 D’un coup, un parent me dit : « oh mais j’y pense, vous devez être fatigués après cette journée. Il se fait tard et vous avez encore plein de choses à ranger. On devrait peut-être vous laisser tranquilles ? »
20:26 Je. Rampe. Vers. Mon. Lit
20:29 Dans un demi-sommeil comateux, Virgile pose son visage collant de glace contre le mien, pour un câlin. Et là, au creux de l’oreille, il me chuchote –« maman, c’était super. On fait quoi comme fête pour mes 7 ans ? »
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Anniversaire glace, le bilan
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La vérité, c’est que les enfants ont été adorables – et très, très motivés par la chasse au trésor ( l’excitation montait depuis qu’ils avaient chacun reçu leur invitation à l’anniversaire glace ). Ils se sont lancés à corps perdu pour sauver les glaces. Au fait, vous leur devez une fière chandelle. J’espère que vous aurez une pensée pour nos Super-Héros la prochaine fois que vous dégusterez une boule.
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Alors, oui, c’était crevant et j’ai passé le dimanche en état léthargique. Pas sûre que mes pauvres tympans, déjà traumatisés par des années de fêtes d’anniversaire ( et un peu de bricolage sans casque, d’accord ) soient sortis indemnes. Mais c’était tellement chouette de les voir soudés pour cette mission. Ils y ont mis toute leur énergie, et je me suis autant éclatée que Virgile a préparer sa fête. Bon, j’ai 350 jours pour souffler et on remet ça, promis !
14 Commentaires
9 octobre 2017 8 h 49 min
J’adore ton récit et ta conclusion. pareil ici, j’en fais beaucoup, je donne beaucoup, je finis lessivée mais je ne reviendrais en arrière pour rien au monde quand je vois les sourires des enfants et surtout des miens !
Remets toi bien ! Jusqu’au prochain
Virginie
Oui Virginie ; la vérité, c’est que ça m’éclate autant que Virgile ! Il est déjà en plein brainstorming pour l’année prochaine; c’est chouette de le voir rêver ( pour l’instant, il rêve d’un anniversaire pizza ).
9 octobre 2017 9 h 00 min
Thème super sympa!
Ah oui, quand les parents oublient d’être à l’heure, ça me tue aussi!
J’étais super contente de mon idée de navette à l’aller; après tout je pourrais l’entendre au retour aussi. J’étais super contente d’accueillir les parents avec un joli buffet mais 5 h après le début de la fête, mes tympans criaient au secours.
9 octobre 2017 10 h 13 min
Felicitations à la GO ! Toute cette agitation m’a fatiguée ! Je vais me faire une glace, tiens ! Avec un topping à la rillette !
9 octobre 2017 10 h 14 min
Ah, j’oubliais, félicitations aussi à la commentateuse , digne de Léon Zitrone !
Attends Fredix, j’ai 10 sortes de restes de toppings à rajouter dessus. Avec un peu de raclette fondue, ce devrait être tip top.
9 octobre 2017 11 h 27 min
Il a une super maman ce Virgile ! Chapeau ! J’attendais le récit avec impatience et j’ai lu comme si j’y étais ! (quatre enfants à moi, ça aide, aussi !). Et puis j’aime l’idée d’un jeu non compétitif ! Bravo à Philéas, il a vraiment l’air formidable, ton grand. Quant au sourire de Virgile, c’est du pur bonheur. Allez, courage, plus que, disons, une demi-douzaine de fêtes à organiser…
Aaah, Yanne, mieux vaut que tous les participants remportent leur médaille si tu ne veux pas que la fête tourne au pugilat. Bizarrement, personne ne s’est porté volontaire pour incarner Fondor; effectivement, il y avait de sérieux risques de ne pas ressortir indemne.
Arrête, je n’avais pas envisagé les choses ainsi; faudra que je trouve d’autres enfants à faire courir, je ne pourrai me résoudre à ne plus faire de chasses au trésor.
Mais elles sont tellement super, tes chasses au trésor qu’il risque de t’en demander longtemps, foi d’éclaireuse qui courait encore après les contrebandiers, les espions, les dragons, à 16 ans !
J’espère bien ! Oui, les éclés sont une merveilleuse école de la vie, et de la fantaisie Yanne.
Connais-tu par hasard le jeu les loups garous de Thiercelieux ? C’est un grand classique des soirées scouts d’aujourd’hui ( et il n’y a pas d’âge pour y jouer ).
9 octobre 2017 13 h 21 min
Super Daphné !!!
Et petite pensée pour Jean R qui m’a tant fait rire AHHH le colonel Louis Marie Toulouse!!
Oh Reine, j’ai fondu en larmes ce matin. Quoi, on ne retrouvera plus jamais sa moustache qui frise, yeux qui pétillent et voix si chaude ? J’ai justement posté sur instagram un de ses derniers projets : les boloss des belles lettres. Il faut que je vous en parle ici.
10 octobre 2017 14 h 13 min
« Planqués entre glaciers et volcans à bouffer de la mousse »… J’adore ! Et d’après les photos, la garrigue, chez toi, c’est pour de vrai. Quelle chance pour les enfants, j’imagine que leur mémoire olfactive est à jamais imprimée. Bonne journée.